Gojūshihō Dai (五十四歩大) : Cinquante-quatre pas grand

Introduction

Gojushiho Dai est l’un des katas supérieurs du karaté Shotokan, réputé pour sa complexité technique et sa richesse en applications martiales. Il met l’accent sur les techniques de main ouvertes, les changements de direction dynamiques et les mouvements circulaires. Ce kata est souvent associé aux grades élevés, notamment pour l’accès au 5ème dan, témoignant de sa maîtrise avancée. Il existe une version plus courte, Gojushiho Sho (五十四歩小), qui partage des techniques similaires mais avec une structure différente.

Signification et origine

Signification littérale et symbolique du nom

Le nom « Gojushiho » (五十四歩) se décompose en trois caractères japonais :

• Go (五) : Cinq
• Ju (十) : Dix
• Shi (四) : Quatre
• Ho (歩) : Pas

Littéralement, cela se traduit par « cinquante-quatre pas ». Cependant, la signification ne se limite pas à un simple compte de pas. L’idée de « pas » (« ho ») peut être interprétée de plusieurs manières :

• Pas physiques : Cela peut faire référence aux déplacements effectués dans le kata, bien que le nombre de mouvements ne corresponde pas exactement à cinquante-quatre.
• Étapes ou phases : Plus symboliquement, les « pas » peuvent représenter les différentes étapes ou phases d’une technique de combat, ou encore les étapes d’un cheminement spirituel dans la pratique des arts martiaux.
• Points d’acupuncture : Certains auteurs ont suggéré un lien possible avec les points d’acupuncture, le nombre cinquante-quatre pouvant avoir une signification dans ce contexte. Cependant, cette interprétation est moins courante.

La distinction entre « Dai » (大) et « Sho » (小) signifie respectivement « grand » et « petit ». Dans le contexte de Gojushiho, cela ne se réfère pas à la longueur du kata, mais plutôt à l’amplitude et à la nature des mouvements. « Dai » met l’accent sur des mouvements plus amples, dynamiques et expansifs, tandis que « Sho » privilégie des mouvements plus compacts et directs.

Origines historiques et transmission

L’origine exacte de Gojushiho est difficile à déterminer avec certitude, car de nombreux katas ont évolué au fil du temps en intégrant des influences diverses. Cependant, on peut identifier plusieurs éléments clés :

• Influence des arts martiaux chinois : Comme beaucoup de katas d’Okinawa, Gojushiho présente des similitudes avec des formes de boxe chinoise, notamment dans l’utilisation des techniques de main ouverte et des mouvements circulaires. On pense que ces influences sont arrivées à Okinawa par le biais des échanges commerciaux et culturels avec la Chine.
• Transmission à Okinawa : L’introduction de Gojushiho à Okinawa est généralement attribuée à des experts tels que Sokon Matsumura (1809-1899) et son élève Anko Itosu (1831-1915), figures importantes du développement du karaté. Matsumura, notamment, était connu pour ses voyages en Chine et son étude des arts martiaux chinois.
• Évolution au sein du Shotokan : Gichin Funakoshi (1868-1957), le fondateur du karaté Shotokan, a intégré Gojushiho dans son système, en le modifiant et en le standardisant pour l’enseignement de masse. Il a également renommé certains katas, et il est possible qu’il ait brièvement nommé Gojushiho « Hotaku », en référence au pic-vert, en raison de similitudes observées dans certains mouvements.
• Variations et interprétations : Au fil du temps, différentes interprétations et variations de Gojushiho ont émergé au sein du Shotokan et d’autres styles de karaté. La distinction entre « Dai » et « Sho » a parfois été inversée dans certaines lignées, soulignant la complexité de la transmission des katas.

En résumé, Gojushiho Dai est un kata dont le nom évoque à la fois des aspects pratiques (les « pas ») et symboliques (les étapes d’un processus). Son origine est liée aux influences chinoises et à l’évolution du karaté à Okinawa, avant d’être intégré et diffusé par le Shotokan.

Salutations et Préparation

• Saluez lentement en position musubi-dachi. (Musubi-dachi : pieds joints, talons et pointes de pieds se touchant.)
• Annoncez le kata : « Gojushihô Dai ».
• YOI : En position hachiji-dachi. (Hachiji-dachi : pieds écartés de la largeur des épaules, pointes de pieds légèrement ouvertes vers l’extérieur. Les poings sont devant les hanches.)

1. Migi uraken-uchi (Coup de revers de poing droit)

• (1A) Transition et préparation: En rapprochant le pied droit du pied gauche, abaissez le bassin (comme une légère flexion des genoux) tout en descendant le poing gauche et en levant le poing droit devant vous, comme pour amorcer un mouvement circulaire ascendant. Avancez ensuite le pied droit en élevant le poing droit au-dessus de la tête, amorçant ainsi le mouvement de frappe circulaire.
• (1B) Exécution du coup: Poursuivez l’avancée du pied droit en position zenkutsu-dachi (position avant, genou avant plié à 90°, genou arrière tendu). Simultanément, abaissez le bras droit en un coup de revers de poing (uraken-uchi) vers l’avant, visant un point au niveau du visage ou du cou de l’adversaire imaginaire. Au même moment, l’avant-bras gauche se lève et se positionne devant la poitrine, en contact (ou presque) avec le coude droit, servant de protection.

2. Heiko tate-zuki (Double coup de poing vertical parallèle)

• (2A) Préparation et déplacement: Tournez la tête vers la gauche. Avancez le pied gauche vers l’avant puis en oblique vers la gauche, en armant simultanément les deux poings au-dessus de la hanche droite (le poing gauche recouvrant le poing droit). Ce mouvement prépare l’attaque suivante.
• (2B) Exécution des coups: Continuez l’avancée du pied gauche et adoptez la position zenkutsu-dachi. Étendez les deux bras devant la poitrine pour porter un double coup de poing vertical et parallèle (heiko tate-zuki). Les poings sont verticaux, les paumes se faisant face, les coups visant le plexus solaire ou le visage.

3. Heiko tate-zuki (Double coup de poing vertical parallèle)

• (3A) Préparation et déplacement: Tournez la tête vers la droite. Avancez le pied droit vers l’avant puis en oblique vers la droite, en armant les deux poings au-dessus de la hanche gauche (le poing droit recouvrant le poing gauche).
• (3B) Exécution des coups: Continuez l’avancée du pied droit et adoptez la position zenkutsu-dachi. Exécutez un double coup de poing vertical et parallèle (heiko tate-zuki) de la même manière que le mouvement précédent, mais de l’autre côté.

4. Hidari chudan tate shuto-uke (Blocage vertical tranchant main gauche niveau moyen)

• (4A) Préparation et déplacement: Rapprochez le pied gauche du pied droit, puis déplacez le pied gauche en oblique vers la gauche. Simultanément, étendez le bras droit vers la gauche, tandis que la main gauche ouverte se prépare au blocage en se plaçant au-dessus de l’épaule droite.
• (4B) Exécution du blocage: Avancez le pied gauche en position zenkutsu-dachi et exécutez un blocage vertical du tranchant de la main gauche (tate shuto-uke) au niveau moyen (chudan), visant à dévier une attaque venant du centre.

5. Migi chudan gyaku-zuki / Hidari chudan zuki / Migi mae-geri / Migi chudan gyaku-zuki (Coup de poing inversé droit niveau moyen / Coup de poing gauche niveau moyen / Coup de pied frontal droit / Coup de poing inversé droit niveau moyen)

• (5A) Gyaku-zuki droit: Toujours en zenkutsu-dachi, portez un coup de poing inversé droit (gyaku-zuki) au niveau moyen (chudan).
• (5B) Zuki gauche: Enchaînez immédiatement avec un coup de poing direct gauche (chudan zuki) au même niveau.
• (5C) Mae-geri droit: Sans modifier la position des bras, donnez un coup de pied frontal fouetté droit (mae-geri) en visant l’abdomen ou le plexus solaire.
• (5D) Retrait du pied: Ramenez le pied droit sans fléchir le bras gauche.
• (5E) Deuxième Gyaku-zuki droit: Reposez le pied droit derrière vous en position zenkutsu-dachi, tout en portant un deuxième coup de poing inversé droit (gyaku-zuki) au niveau moyen.

6. Migi chudan tate shuto-uke (Blocage vertical tranchant main droite niveau moyen)

• (6A) Préparation et déplacement: En tournant la tête vers la droite, ramenez le pied droit vers le pied gauche, puis avancez-le en oblique vers la droite. Simultanément, préparez le blocage en armant la main droite ouverte au-dessus de l’épaule gauche.
• (6B) Exécution du blocage: Avancez le pied droit en position zenkutsu-dachi et exécutez un blocage vertical du tranchant de la main droite (tate shuto-uke) au niveau moyen.

7. Hidari chudan gyaku-zuki / Migi chudan zuki / Hidari mae-geri / Hidari chudan gyaku-zuki (Coup de poing inversé gauche niveau moyen / Coup de poing droit niveau moyen / Coup de pied frontal gauche / Coup de poing inversé gauche niveau moyen)

• Cette séquence est le reflet de la séquence 5, mais exécutée du côté opposé.
  • (7A) Gyaku-zuki gauche: Coup de poing inversé gauche.
  • (7B) Zuki droit: Coup de poing direct droit.
  • (7C) Mae-geri gauche: Coup de pied frontal fouetté gauche.
  • (7D) Retrait du pied: Ramenez le pied gauche.
  • (7E) Deuxième Gyaku-zuki gauche: Reposez le pied gauche en zenkutsu-dachi et portez un deuxième gyaku-zuki gauche.

8. Migi tate empi-uchi (Coup de coude ascendant droit)

• (8A) Préparation et déplacement: En tournant la tête vers la gauche, avancez le pied droit tout en ramenant le coude gauche près du corps.
• (8B) Exécution du coup: Continuez l’avancée du pied droit en position zenkutsu-dachi et portez un coup de coude ascendant droit (tate empi-uchi) en visant le menton ou le plexus solaire de l’adversaire imaginaire.

9. Koko hiza-kuzushi (Projection/déséquilibre en poussant le genou)

• En position zenkutsu-dachi gauche (donc avec la jambe gauche devant), exécutez un blocage « en cuillère » avec la main gauche (comme pour attraper un bras). Simultanément, abaissez la main droite et poussez sur le genou de l’adversaire imaginaire pour le déséquilibrer ou le projeter.

10. Migi keito-uke (Kisutsuki no kamae) (Blocage poignet en « tête de poulet » / Posture du pic)

• Avancez le pied droit. Simultanément, levez la main droite en un mouvement circulaire devant le flanc gauche, tout en commençant à pivoter la main gauche vers l’intérieur (revers de la main vers l’avant).
• Continuez l’avancée du pied droit en position neko-ashi-dachi (position du chat, le poids du corps principalement sur la jambe arrière, genou avant légèrement plié). Exécutez un blocage du poignet droit en « tête de poulet » (keito-uke) devant l’épaule droite. Simultanément, continuez la rotation de la main gauche et placez-la également en « tête de poulet », en la crochetant sous le bras droit, juste au-dessus du coude. Cette posture combinée est appelée Kisutsuki no kamae, ou « posture du pic ».

1. Richesse et complexité techniques :

• Variété des techniques : Gojushiho Dai contient une grande diversité de techniques, incluant des blocages (uke), des frappes de poings (zuki), des frappes de mains ouvertes (shuto-uchi, washide), des coups de coude (empi-uchi), des coups de pied (mae-geri, fumikomi), des projections/déséquilibres (koko hiza-kuzushi), et des attaques en pique d’un doigt (ippon-nukite). Cette variété permet de développer un large éventail de compétences martiales.
• Techniques avancées : Le kata introduit des techniques plus complexes, comme les blocages en « tête de poulet » (keito-uke, keito-uke-nagashi), les attaques en « bec d’aigle » (washide), et les techniques combinées avec des déplacements spécifiques. Cela permet d’approfondir la compréhension et la maîtrise des techniques fondamentales.
• Coordination et fluidité : L’enchaînement des nombreuses techniques, souvent complexes, exige une grande coordination des mouvements et une fluidité dans les transitions. Cela contribue à améliorer la coordination générale et l’aisance corporelle.
• Changements de direction et de rythme : Le kata présente de nombreux changements de direction (rotations, pivots) et de rythme (mouvements rapides et lents), ce qui oblige le pratiquant à adapter constamment sa posture, son équilibre et sa concentration.

2. Développement physique :

• Force et puissance : L’exécution correcte des techniques, notamment les frappes et les blocages, contribue au développement de la force et de la puissance musculaire.
• Équilibre et stabilité : Les nombreuses positions (zenkutsu-dachi, kiba-dachi, neko-ashi-dachi, kosa-dachi) et les changements de direction sollicitent l’équilibre et la stabilité du pratiquant.
• Souplesse et mobilité : Les mouvements amples et les rotations favorisent l’amélioration de la souplesse et de la mobilité articulaire.
• Endurance : L’exécution complète du kata, avec ses 54 mouvements, demande une bonne endurance physique.

3. Aspects mentaux :

• Concentration et mémoire : L’apprentissage et la mémorisation du kata exigent une forte concentration et une bonne mémoire.
• Visualisation et imagination : L’exécution du kata implique de visualiser un adversaire imaginaire et d’anticiper ses attaques, ce qui stimule l’imagination et la capacité de visualisation.
• Discipline et persévérance : La maîtrise du kata demande une pratique régulière et une grande persévérance, ce qui contribue au développement de la discipline et de la volonté.
• Confiance en soi : La progression dans l’apprentissage du kata et la maîtrise de ses techniques renforcent la confiance en soi.

4. Compréhension des principes martiaux :

• Bunkai (application) : L’étude du bunkai, c’est-à-dire l’application concrète des mouvements du kata en situation de combat réel, permet de comprendre les principes martiaux sous-jacents et d’améliorer l’efficacité des techniques. Gojushiho Dai, avec sa richesse technique, offre de nombreuses possibilités d’interprétation et d’application.
• Principes de défense et d’attaque : Le kata illustre des principes importants tels que la défense et la contre-attaque simultanées, l’utilisation de l’énergie de l’adversaire, le contrôle du centre, et l’exploitation des points vitaux.

Le kata Gojushiho Dai est bien plus qu’une simple succession de mouvements ; il représente une synthèse avancée des principes du karaté, tant sur le plan technique que mental et philosophique. 

Sur le plan technique :

• Maîtrise avancée des fondamentaux : Gojushiho Dai exige une parfaite maîtrise des techniques de base (kihon). Chaque mouvement, même complexe, repose sur des principes fondamentaux tels que la posture, l’équilibre, la coordination, la respiration et le kime (concentration de l’énergie).
• Richesse et complexité : La grande variété des techniques (blocages, frappes, coups de pied, projections, etc.) et leurs combinaisons complexes offrent un entraînement complet et diversifié. Le kata met l’accent sur la fluidité des transitions et la coordination des mouvements, développant ainsi l’aisance corporelle et la capacité d’adaptation.
• Applications martiales (Bunkai) : L’étude approfondie du bunkai révèle la richesse des applications concrètes des mouvements du kata en situation de combat réel. Gojushiho Dai offre de nombreuses interprétations possibles, permettant d’explorer différentes stratégies de défense et d’attaque.

Sur le plan physique :

• Développement complet : La pratique régulière de Gojushiho Dai contribue au développement de la force, de la puissance, de l’équilibre, de la stabilité, de la souplesse, de la mobilité et de l’endurance. C’est un entraînement physique complet qui sollicite l’ensemble du corps.

Sur le plan mental et philosophique :

• Concentration et discipline : L’apprentissage et l’exécution du kata exigent une grande concentration, une mémoire précise et une discipline rigoureuse. La persévérance nécessaire pour maîtriser ce kata contribue au développement de la volonté et de la détermination.
• Visualisation et imagination : La pratique du kata implique de visualiser un adversaire imaginaire et d’anticiper ses actions, ce qui stimule l’imagination et la capacité de visualisation.
• Adaptabilité et fluidité : Les nombreux changements de direction, de rythme et de techniques dans Gojushiho Dai enseignent l’importance de l’adaptabilité et de la fluidité, des qualités essentielles non seulement dans le combat, mais aussi dans la vie quotidienne.
• Harmonie et équilibre : L’exécution correcte du kata, avec sa fluidité et sa coordination, procure un sentiment d’harmonie et d’équilibre, tant sur le plan physique que mental.
• Recherche de la perfection : La pratique des katas, et en particulier de Gojushiho Dai, est une voie de recherche de la perfection technique et personnelle. C’est un processus continu d’apprentissage et d’amélioration.

En conclusion générale :

Gojushiho Dai est un kata supérieur qui synthétise l’essence du karaté. Il offre un entraînement complet et approfondi, permettant de développer non seulement les compétences techniques et physiques, mais aussi les qualités mentales et la compréhension des principes martiaux. C’est un outil pédagogique précieux pour les karatékas avancés qui souhaitent approfondir leur pratique et progresser sur la voie du karaté-do. Il ne s’agit pas seulement d’exécuter une série de mouvements, mais de comprendre leur signification, leur application et leur portée philosophique. La maîtrise de Gojushiho Dai témoigne d’un niveau avancé de compréhension et de pratique du karaté.